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« Les Mille et une nuits » de l’armée US

David B. publie simultanément deux albums consacrés à l’Orient. Entre fantasmes et géopolitique contemporaine.

On le sait, David B. nourrit à travers son dessin une passion pour l’Orient. L’auteur met aujourd’hui un terme à deux séries ouvrant chacune une ­fenêtre sur les mondes arabes et orientaux. Deux récits que tout oppose mais qui, dans leur message, se répondent. Le Courrier a rencontré l’auteur français, cofondateur des Éditions L’Association, à Lausanne lors de sa venue au récent Festival BDFIL.

Paru fin août, le deuxième tome d’Hâsib et la reine des serpents clôt ce récit tiré d’un conte des Mille et une nuits. «Ma mère me les lisait enfant», se souvient l’auteur. Mais pas ce conte-là, dont l’intérêt lui est apparu plus tard. Hâsib est une histoire à ­tiroirs qui débute à la 482e nuit de Shéhérazade. Fils unique d’un sage, le jeune Hâsib se voit enfermer dans un dédale souterrain par des compagnons malhonnêtes. Il y rencontre la Reine des serpents qui, en échange de son histoire, lui contera la sienne. Celle d’un roi juif parti à la recherche du ­prophète Mahomet.

De l’Indépendance à Obama

On s’en doute, le choix d’illustrer le récit d’Hâsib plutôt qu’Ali Baba ou un autre conte plus classique des Mille et unes nuits ne doit rien au hasard. «L’intérêt de cette histoire, explique David B., est qu’elle se situe avant l’islam – les personnages sont à la recherche de Mahomet. Ce qui m’a frappé ici, c’est l’esprit d’ouverture, y compris religieuse et spirituelle, de l’époque.»

Tout le contraire, donc, de son autre série du moment, Les Meilleurs ennemis, qui dresse le portrait des relations entre États-Unis et Moyen-Orient. Une BD documentaire réalisée avec l’historien Jean-Pierre ­Filiu, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. ­Ensemble, ils ont retracé plus de deux siècles de relations ­«tumulte-tueuses». Leur point de départ se situe en 1783, quelques années après la déclaration d’indépendance de l’ancienne colonie britannique. Les États-Unis naissants se voient embarqués dans une lutte opposant leur flotte aux pirates des «États barbaresques» de Tunis, Alger, Tripoli et du Maroc. Des régences de l’empire Ottoman qui attaquaient leurs navires et en capturaient l’équipage contre rançon.

Narration épique

Un premier bras de fer, avant que ne vienne le tour des conflits locaux pour le pétrole et le début des liens étroits entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Lancée en 2011 et traduite en plusieurs langues, la série consacre aujourd’hui son troisième tome aux années 1984-2013, décryptant notamment les guerres contre Saddam Hussein et la création d’Al-Qaïda, jusqu’aux atermoiements du gouvernement d’Obama en Syrie. «On y trouve les racines de ce qui se passe aujourd’hui», explique David B. L’album, prévu initialement ces jours, sortira finalement en novembre.

L’imaginaire se confronte ainsi à l’histoire. Et les parallèles sont nombreux, à commencer par le conte. Le ­récit sumérien de Gilgamesh qui ouvre la série des Meilleurs ennemis n’y figure pas par hasard. L’histoire elle-même, avec ses acteurs et ses batailles, plonge le lecteur dans une ­narration épique commune. Effet renforcé par le style oriental du ­dessin de David B., qui s’est largement inspiré de sa collection de livres sur les miniatures persanes pour illustrer Hâsib.

Son expression graphique ne diffère pas radicalement quand il s’agit de dessiner le conflit ­israélo-arabe – la couleur en moins. Presque chaque planche des Meilleurs ennemis emploie des symboles très imagés pour symboliser son propos. Ici, des hommes à tête de faucon représentent les forces étasuniennes; là, un nuage noir de mots sort de la bouche de Ben Laden et vient flotter au dessus de Bill Clinton sans le troubler, montrant que ses menaces n’atteignent pas sa conscience. Des images puissamment évocatrices qui illustrent tour à tour un événement, un clan, un conflit, avec peu d’artifices mais beaucoup d’à-propos. On y retrouve l’esprit de la narration des ­légendes, sauf que la morale et la fin heureuse font défaut.

Antidote au présent

C’est néanmoins au niveau du scénario que le contraste prend tout son sens. Alors que Les Meilleurs ennemis détaille la montée des islamistes radicaux et leurs exactions, Hâsib rappelle l’existence d’un autre islam, chargé de hautes valeurs de ­tolérance. «Les étrangers sont souvent maltraités dans Les Mille et une nuits», souligne l’auteur. Or le récit d’Hâsib, ­précisément, s’en éloigne. «C’est même le seul où un juif fait bonne figure. C’est important, car il n’était pas question pour moi de présenter une communauté étrangère, quelle qu’elle soit, comme négative.»

Comme une forme d’antidote au présent, Hâsib souligne que depuis le 11 septembre 2001 (et les attentats terroristes se revendiquant de Daech), le monde arabo-musulman n’est plus montré que sous l’angle extrémiste et guerrier dans le flot d’images qui inonde les médias.

Cette actualité a d’ailleurs rattrapé l’auteur, avec la série d’attentats survenus cet été en Europe. Juste au moment où David B. dessinait le troisième volume des Meilleurs ­ennemis. «Tout ça m’arrivait en pleine ­figure», explique-t-il. Lourd à porter. Alors, quand on lui demande s’il prévoit une suite, qui s’attarderait sur les événements récents en Irak et en Syrie, David B. répond par la négative. L’artiste est fatigué de dessiner des terroristes et des soldats. Lui qui avait raconté dans L’Ascension du Haut Mal comment, adolescent, il gribouillait frénétiquement des scènes de batailles comme pour se prémunir de l’épilepsie de son frère, dit ­aujourd’hui avoir «tourné la page». Ses récits, il les veut ­désormais motivés par l’intérêt et le plaisir, immuable, de dessiner. «Le dessin a aussi cette fonction thérapeutique.»

 

 

 

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